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FLEURS DE CHALAM

Il s’en était fallu de peu pour que le chemin pris ce matin, entre arbres, gentianes, reine des prés et autres douces folies herbacées, soit un passage vers la grâce. Ton ombre, s’arrêtant si peu à la haie d’honneur que te faisaient les fleurs, s’obstinait à monter et à tenir un temps de marche moins long que celui indiqué par le panneau, à presser une avancée qui effaçait comme une serpe coupe l’herbe à ras, sans pitié, ce qui s’épandait de tous côtés. Comme si un verdict de mort prochaine, de maladie incurable rendait tout impropre à la contemplation et au plaisir. Inaccessible au profit de l’instant ;

Une fois sur la hauteur, un coup d’œil circulaire, vérifiant que l’horizon n’avait pas bougé, un casse-dalle vite dilapidé, quelques mots avec des promeneurs, et la descente, bien plus difficile que sa sœur ainée, l’ascension.

Mais ce qui s’était refusé (ou plutôt que tu avais refusé de voir) à la montée, fit au retour des anicroches à ton regard ; l’insolence des fleurs, leur ruissellement, leur brassage soyeux entre plusieurs espèces finirent par te convaincre de t’arrêter et de les mettre en mémoire dans un misérable téléphone, l'esclave dont tu es devenue esclave, porteur de ta mémoire instantanée. 

L’obligation que tu t’étais faite de cueillir au retour des brassées de Reine des prés, aux grappes de fleurs bien pleines, pas encore prêtes à neiger sous les doigts acérés cassant leur tige, alentit le temps et tu rencontras alors du petit monde : des abeilles, des mouches, et d’autres, toute la gent intéressée par les pollens, travaillant consciencieusement à déplumer les pistils, les cœurs, à s’endormir de fatigue par moments en bord de corolle. Sur de rutilantes marguerites orange vif, s’activaient de belles abeilles, une par fleur, tournant inlassablement dans le sens des aiguilles d’une montre, aspirant le nectar d’or. Que fallait-il de plus pour être heureuse que de voler une part du butin de ces butineuses, chaparder des tiges de fleurs comme un bandit de petit chemin ? ta démarche au retour était tant plus légère, car les fleurs dans leur beauté t’avaient atteinte par leur grâce, leur insignifiance et avaient allégé la tienne.

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